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Utopiales 2013
samedi 16 novembre 2013, par
La quatorzième édition des Utopiales s’est déroulée à Nantes il y a quelques jours avec comme chaque année un panel d’invités originaires de toute la planète tant dans le domaine de la SF que de la fantasy de l’illustration, du cinéma, du jeu…
Plusieurs points ont intéressé les chroniqueurs némédiens cette année comme l’hommage à Raymond Poïvet, pionnier de la BD d’auteur, mais aussi les nombreux ateliers découverte dont la liste serait trop longue à dresser !
J’aimerai toutefois évoquer deux points intéressants du point de vue des chroniqueurs némédiens, l’intervention de Xavier Mauméjean concernant l’imaginaire américain, et la rencontre avec Orson Scott Card.
La conférence de Xavier Mauméjean intitulée « Les racines de l’imaginaire américain » a retracé dans les grandes lignes une partie du folklore de ce pays depuis l’arrivée des premiers colons. Dans le peu de temps imparti il est revenu sur les Contes de ma mère l’Oie, (complètement différents de la version française de Charles Perrault) inspirés de contes irlandais et écossais transformés par la dure vie qui fut celle des premiers arrivants. Le principe du don et du contre don y sont prédominants et le thème du sacrifice d’un enfant récurrent.
Xavier Mauméjean a évoqué ensuite l’instauration du puritanisme à Boston qui prit un tournant décisif avec Cotton Mather, ministre du culte calviniste, lettré et ennemi de la magie qu’il étudia au point de détenir une bibliothèque complète sur le sujet. Il fut l’instaurateur de grands procès en sorcellerie dans le deuxième quart du XVIIIème siècle.
- Exposition Poïvet
Un saut dans le temps nous transporta ensuite aux abords de New York à la fin du XIXème sur Coney Island, où deux promoteurs, après avoir reconverti les membres des gangs en policiers, construisent des parc d’attractions délirants. Dreamland, ville test intégralement blanche, afin que chacun y projette mentalement ses propres couleurs, offrait plusieurs attractions comme le Commencement du Monde, l’Eruption du Vésuve, mais Surtout Lilliputia. Cette réplique miniature de la ville de Nuremberg dans son état médiéval était entièrement peuplée de personnes de petite taille recrutées pour leur proportions parfaites et auxquelles on imposait la prise de cocaïne et des comportements homosexuels supposés faire rire le public. Les pompiers de Lilliputia devaient étendre un vrai incendie déclenché trois fois par jour, la ville possédait ses tribunaux et même ses pauvres. En été le parc accueillait 250 000 visiteurs par jour.
En 1908 ouvrit le Luna Park permettant de visiter une cité Lunaire peuplée de sélénites, interprétés par des comédiens sélectionnés pour leur physique considéré parfait : grands et blonds…
- Xavier Mauméjean et Michel Serres
Le personnage de Sarah L. Winchester apparaît ensuite : riche veuve du fils Winchester, elle fit construire une maison pour les fantômes des victimes du fameux fusil (hommes comme bêtes). L’esprit de son mari lui rendait visite régulièrement et lui donnait des nouvelles de sa quête pour retrouver le fantôme de leur fille décédée prématurément. La construction de la demeure ne devant jamais s’achever, elle se déroulait 24 heures sur 24 et l’édifice comportait de nombreux escaliers ne menant nulle part, mais surtout une garderie pour bébés fantômes, une salle de bal gigantesque.
Xavier Mauméjean n’eut que le temps d’évoquer la création des services secrets américains par des magiciens illusionnistes avant la fin du temps qui lui était dévolu. Une conférence passionnante qui aurait pu durer des heures sans aucun doute ! Une partie de ces informations se retrouve dans Lilliputia (Calmann-Lévy, 2008) et American Gothic (Alma, 2013).
Le festival a été l’occasion de faire monter sur scène Orson Scott Card pour une rencontre animée par J.-A. Debats. L’auteur américain a pu revenir avec humour sur ses méthodes d’écriture ainsi que sur le sens de son œuvre, marquée entre autres par La Stratégie Ender et les Chroniques d’Alvin le Faiseur.
J.-A. Debats a évoqué les nombreux ateliers d’écriture que l’auteur anime et souligné que ces pratiques, même si elles se développent chez nous, ne sont pas encore ancrées dans notre culture SF.
A la question comment écrivez vous, OSC a répondu qu’il n’avait pas d’horaires réguliers, qu’il plongeait dans l’écriture et essayait de rejoindre l’autre berge au plus vite sans être trop désagréable avec son entourage. Il recommande aux jeunes auteurs de ne pas arrêter le sport ! En effet ce dernier lui procure les mêmes satisfactions que l’écriture, il a donc dû le bannir de sa vie s’il voulait continuer à écrire et balance constamment depuis entre rester en vie et gagner assez d’argent pour le rester. Plus sérieusement il avoue être revenu à une meilleure hygiène de vie après une attaque survenue il y a environ trois ans.
Revenant sur les ateliers d’écriture, il affirme que l’on apprend y peu sur ses propres histoires mais beaucoup plus grâce aux histoires des autres, surtout si elles sont mauvaises, on apprend ainsi à reconnaître ces erreurs dans nos propres textes.
Pour lui il y a deux raisons principales qui font que quelqu’un veut devenir auteur : vouloir imiter un beau texte qui a inspiré, ou vouloir faire mieux que la « merde » qu’on vient de lire ! Son conseil aux apprentis auteurs : étudiez les auteurs que vous n’aimez pas.
Il recommande aussi de ne pas lire qu’un seul type de littérature mais de s’ouvrir afin de multiplier le nombre d’outils à sa disposition.
Lors des ateliers d’écriture, OSC pose des questions à ses étudiants, et il voit émerger un grand nombre d’histoires potentielles, mais au final la question qui se pose toujours est celle de la causalité. Si on ne sait pas toujours pourquoi les gens agissent dans la vraie vie, les auteurs de SF passent leur temps à inventer des causes aux agissements de leurs personnages.
Ses ateliers commencent toujours par une question un peu provocante : pourquoi êtes-vous ici et pas chez vous à écrire ? Il recommande d’écrire un bon millier de pages avant de trouver une victime à qui les faire lire. Celle-ci rapportera une expérience de lecture plus qu’une vraie estimation de la qualité : elle soulignera les passages où elle s’est ennuyée, n’a pas compris, et où les faits ont semblé non crédibles. Il s’agit selon OSC les trois choses qui comptent dans un récit.
L’équilibre entre développement du monde et des personnages est important, mais selon lui, sans caractérisation travaillée, il n’y a pas d’histoire.
La discussion a porté ensuite sur l’importance de la foi dans le travail d’OSC, qui semble transparaître à travers des personnages d’enfants messianiques, de sacrifices consentis. Selon lui on a tous des croyances, construites parfois par opposition à notre environnement, mais aussi d’autres plus profondes parfois inconscientes. On considère comme fous les gens que l’on rencontre qui ne partagent pas ces convictions profondes.
Néanmoins il a veillé à faire en sorte que ces personnages n’adoptent pas ses propres convictions (il est mormon) mais il a constaté que certaines valeurs revenaient néanmoins régulièrement. Pour lui, ce qu’un auteur croit réellement, émerge de son travail, y compris ses idées inconscientes. Et pour un court moment, le lecteur va partager des souvenirs, une expérience du monde avec l’auteur, mais aussi ensuite avec d’autres lecteurs.
Toujours pour OSC, il est impossible d’écrire de la fantasy sans avoir un « purposer », un personnage qui tire l’histoire. Même dans les récits d’Asimov qui se disait complètement athée, il existe toujours un personnage (sorte de messie) qui croit en un but (« dieu » de l’histoire).
Pour finir OSC indique que selon lui, les hommes que l’on croise dans la SF réagissent à des futurs possibles, mais que dans les faits, ces futurs s’avèrent rarement exacts. Et le succès de la SF et de la fantasy se mesure à la façon dont il prépare le lecteur à s’adapter aux changements du monde, inconnus voire désagréables. Pour lui les utopies semblent un enfer. Notre monde est peuplé de gens qui veulent créer ce qu’ils considèrent comme leur utopie, et nous essayons de ne pas rentrer dans ce que nous considérons comme leur enfer. Moins il y a de politiciens et plus il y a d’auteurs de SF et mieux se porte notre monde.
- Vue générale
Petit bémol au festival : la programmation des films pour les plus jeunes visiteurs. Nul ne mettra en cause le fait qu’il faille sensibiliser les enfants à la SF dès leur plus jeune âge, mais le festival n’offrait que peu de films en VF visibles par les plus jeunes, dont le « Prince Nezha » de Wang Shuchen (1978) durant lequel un enfant commet un suicide en s’ouvrant la gorge. Pas évident pour des enfants de cinq ans !
A l’année prochaine donc pour un nouveau festival.
Crédits Photo : Stellabrettiana http://lejardindestella.blogspot.fr/