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Les Habitants des Tombes

vendredi 28 janvier 2011, par François Truchaud



Aux heures pâles de la nuit
Neuf nouvelles imprégnée de fantastique horrible, de magie noire, de vengeance, de violence et de sang... écrivais-je à propos du Pacte noir, le premier Howard chez NéO ! Une définition qui s’applique à merveille au présent volume - le vingtième REH dans cette collection ! - le premier des trois recueils qui rassembleront trente nouvelles fantastiques de l’auteur de La Vallée du ver.
Le lecteur sait toute l’importance du fantastique dans l’œuvre de « Two-Gun Bob », comme en témoignent notamment
Le Pacte noir et L’homme noir. Pourtant les neuf nouvelles de présent ouvrage me semblent encore plus sombres, violentes et cauchemardesques. Jamais l’univers de Howard n’a été aussi glauque et hanté par l’horreur. Les Forces du Mal et de la nuit se déchaînent sur le monde, et bien peu en réchapperont ! L’épouvante et la mort, surgies des ténèbres et des rêves, sont au rendez-vous. Ou la vision hallucinée de REH, l’un des plus grands écrivains fantastiques de ce siècle, l’un des auteurs prestigieux de Weird Tales aux côtés de Lovecraft, Clark Ashton Smith, August Derleth, Carl Jacobi et bien d’autres !
Ces neuf nouvelles contiennent un fantastique vécu au premier degré, comme si elles avaient été écrites au sortir de rêves et de cauchemars, dans un état second... ainsi certaines nouvelles de Lovecraft (notamment le recueil
Dagon) qui semblent venues d’ailleurs.
Au fil des pages, le lecteur trouvera des indications précieuses sur la nature et l’origine de ces rêves et de ces cauchemars - véritable définition du Fantastique que nous donne Howard, se révélant un peu plus à nous (dans certaines nouvelles, la fiction et la réalité sont pratiquement confondues) et nous livrant en partie le secret de sa création. Et, tout naturellement, ces souvenirs et ces obsessions, ces terreurs venues d’ailleurs, remontent à l’enfance. Le jeune Howard fut tout particulièrement impressionné par les histoires de fantômes que lui racontèrent la cuisinière noire de ses parents et sa grand-mère, comme il l’a écrit avec une lucidité étonnante :
« Aucune des histoires de revenants que racontent les Noirs ne m’a jamais fait aussi peur que celles que me racontait ma grand-mère. Elle possédait toute la tristesse et le sombre mysticisme de l’âme gaélique. Il n’y avait aucune lumière, aucune joie en elle. Ses histoires montraient l’étrange folklore qui s’était développé parmi les colonies irlando-écossaises du sud-ouest des Etats-Unis, où les mythes celtiques et le contes de fées, transplantés, rencontraient les légendes slaves et se mêlaient à elles. La famille de ma grand-mère avait quitté l’Irlande du sud, seulement une génération plus tôt, et elle connaissait par cœur toutes les histoires et les superstitions des gens, Blancs ou Noirs, qui vivaient autour d’elle. Lorsque j’étais enfant, mes cheveux se dressaient sur ma tête lorsqu’elle me parlait du chariot qui s’avance sur les chemins déserts, au cœur de la nuit, et que ne tire aucun cheval... un chariot rempli de têtes tranchées et de membres humains ! Elle me parlait également du cheval jaune, une horrible cheval de cauchemar qui montait et descendait l’escalier d’une vieille demeure de planteurs, tandis qu’une méchante femme agonisait dans son lit ; et des coups frappés par les fantômes qui bruissaient derrière les portes que personne n’osait ouvrir, de peur d’être foudroyé par la vue de ce qui se trouvait derrière. Et dans nombre de ses histoires, également, apparaissait la vieille demeure abandonnée, au milieu d’une plantation, envahie par de mauvaises herbes, avec des pigeons spectraux s’envolant brusquement des balustrades de la véranda. »
Cette dernière phrase nous fait aussitôt penser aux
Pigeons de l’Enfer, bien sûr (in L’Homme noir), mais le lecteur trouvera d’autres références, provenant en droite ligne des souvenirs d’enfance d’Howard. Ainsi dans Le fléau de Dermod (l’une de ses histoires les plus étranges), il « met en scène » sa grand-mère elle-même, et nous rappelle ses ascendances irlandaises. D’ailleurs, dans nombre de ses nouvelles, ses personnages portent des noms irlandais, je n’insiste pas.
Delanda Est (paru dans Worlds of Fantasy, vol. 1, n°1, en 1968) fait allusion, naturellement au fameux Delanda Carthago (il faut détruire Carthage), mais ici, il s’agit de Rome. Outre le thème fantastique, Howard nous montre une fois de plus qu’il prend fait et cause pour les barbares (en une magnifique évocation de Genséric et des Vandales) face à la « civilisation » romaine. Une nouvelle très courte qui pourrait être le premier chapitre d’un roman !
Celui qui hantais la bague (paru dans Weird Tales, en juin 1934) utilise un thème fantastique classique, mais Howard lui donne une tournure extrêmement personnelle, et nous sommes en pays de connaissance. Le Club des Aventuriers, des personnages au passé mystérieux, des recherches occultes... Howard use et abuse des noms propres, qui ont valeur de fétiches pour lui (Kirowan, Conrad, Gordon). Notons certaines lignes prémonitoires sur le suicide et la fin assez étonnante de ce récit.
La maison parmi les chênes (paru en 1971 dans Dark Things, anthologie d’Auguste Derleth) est en fait un texte inachevé d’Howard (titre original : The House). Auguste Derleth le reprit et l’acheva (à partir du paragraphe : « Nous avions franchi le cercle des chênes moroses ») mais les vers cités dans la partie écrite par Derleth sont de REH. Le personnage central est Justin Geoffrey ou le poète fou, envahi et détruit par des cauchemars venus d’un autre monde. Le texte écrit par Howard est extrêmement révélateur, puisqu’il s’agit en fait d’un autoportrait ! Lorsqu’il parle des études de Geoffrey, de son aversion pour les mathématiques et autres matières, il parle à la première personne ! Et nous avons devant nous le Howard adolescent, empli des ses rêves fabuleux, prêt à accoucher de son œuvre. La partie écrite par Derleth infléchit quelque peu le récit, déviant tout naturellement vers Lovecraft ! Ainsi, nous avons la bibliothèque maudite, avec le Necronomicon et autres livres redoutables. Le personnage de Justin Geoffrey devient une synthèse de Howard et de Lovecraft, soit l’écrivain fantastique par excellence. Comment Howard aurait-il terminé cette nouvelle, nous l’ignorons, mais Derleth ne se montre aucunement indigne de lui. Un très beau texte « hanté » sur les rêves et la création fantastique.
Le cobra du rêve (paru dans Weirdbook, n°1, en 1968) est également un thème fantastique classique, mais traité d’une manière originale par Howard. Le rêve/cauchemar se poursuit et envahit la réalité, détruisant la réalité et les faits. Un bref retour aux Indes, et des scènes d’une tension et d’une horreur rares ! Ainsi qu’une très belle méditation sur les mécanismes de l’inconscient. De la logique inéluctable du cauchemar...
Le fléau de Dermod (paru dans Magazine of Horror, automne 1967) est sans doute l’un des textes les plus personnels de Howard... et des plus curieux. Outre sa grand-mère nommément citée et ses origines irlandaises, Howard s’invente une sœur jumelle (ce thème se retrouve dans une ou deux autres nouvelles. Ce qui intéresserait sans doute plus d’un psychanalyste ! L’ambiance de ce récit n’est pas sans rappeler Le cairn de l’homme gris (in Le Pacte noir) et jamais Howard n’a été aussi sombre et désespéré, hanté par la mort et la futilité des choses de ce monde.
Le peuple de la côte noire, paru dans Spaceway Science Fiction, en septembre-octobre 1969) est un autre récit très étrange, d’une cruauté et d’une noirceur rarement égalées. L’ambiance est digne des récits les plus échevelés des pulps d’avant-guerre, mais c’est vraiment le cauchemar à l’état pur, comme si Howard l’avait couché par écrit, encore à moitié endormi, à peine réveillé d’un rêve particulièrement horrible ! Outre le thème insolite, notons la citation d’un poème de Tevis Clyde Smith (ami et collaborateur d’Howard) et le ton extrêmement morbide de cette nouvelle, fébrile et malsaine à souhait !
Les habitants des tombes (titre de travail : His Brother’s Shoes, paru dans Lost Fantasies, n°4, en 1976) se signale par une ambiance extrêmement macabre et contient un thème cher à Howard, celui de la dégénérescence d’une race, déjà traité dans Le peuple des ténèbres (in Le Pacte noir) et une aventure de Bran Mak Morn : Les Vers de la terre. Je n’insiste pas. Notons les origines texanes de l’un des personnages, et l’allusion aux indiens d’Amérique, leurs superstitions concernant une certaine colline au nom étrange, qui n’est pas sans annoncer Graham Masterton ! Un texte extrêmement prenant et angoissant, où Howard prouve qu’il est l’un des maîtres de l’horreur.
La lune de Zambabwei (paru sous le titre : The Grisly Horror, dans Weird Tales, en février 1935) est certainement l’un des textes les plus délirants de REH, stupéfiant par sa cruauté et sa folie : mutilations, tortures, sadisme, Afghan, Noirs, sorcellerie de Zemba ! Le ton est très proche de Magie noire à Canaan (in Le Pacte Noir) et de deux aventures de Steve Harrison, Le peuple du serpent et La maison du soupçon, comme le lecteur s’en rendra compte aussitôt. Je n’en dirai pas plus, ajoutant seulement que cette histoire est digne de l’imagination débordante de Jean Ray, pour ses Harry Dickson, bien sûr (c’était déjà le cas pour les aventures de Steve Harrison) et que Howard fut, incontestablement très impressionné (et cela n’a rien d’étonnant) par King Kong [1] , le film-culte ! Il a littéralement « calqué » certaines scènes et images de danses et cérémonies, sans parler de Zemba !
Les adorateurs d’Ahriman (paru dans la revue Thrilling Mystery en juin 1936) est un autre texte délirant digne des pulps de l’époque. Rappelons que, dans la même revue, avait été publiée quelques mois plus tôt, Les rats du cimetière, une aventure de Steve Harrison. C’est à nouveau le cauchemar à l’état pur. Le début est stupéfiant par sa brutalité et sa violence onirique ; ce pourrait être une bande dessinée d’E. C. Comics ! Là aussi, on songe à Harry Dickson, je n’insiste pas. Le récit file à cent à l’heure et le lecteur est emporté par l’action frénétiques, avec une fin stupéfiante. Notons que cette histoire se passe au Texas et que Howard décrit les paysages où il vit (les buissons de mesquite, le domestique mexicain, comme dans Le tertre maudit). Les idées foisonnent ; jamais l’imagination d’Howard n’a été aussi éclatante ! A nouveau une violence et un sadisme inouïs (les tortures et les mutilations) avec, en contrepoint, le très beau personnage féminin de Joan et l’amour naissant entre Joan et Emmett Glanton (qui aurait pu s’appeler Steve Harrison !) Et la dernière phrase, superbe d’invention et de romantisme !
En attendant
Le tertre maudit, voici ces neuf nouvelles, ou la preuve par neuf de la vision fantastique de REH, et bon voyage... vers les tombes ! A lire aux heures pâles de la nuit !
François Truchaud
Ville-d’Avray
30 juillet 1985.

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[1Dont le scénario était dû à Edgar Wallace qui fait justement son apparition chez Néo, ce même mois, dans la collection « Le miroir obscur ».