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Cormac Fitzgeoffrey

mardi 23 février 2010, par François Truchaud


Le plus sauvage d’entre tous !
Après Kirby O’Donnell et en attendant Steve Harrison (en janvier), voici Cormac Fitzgeoffrey, le quinzième Howard chez NéO, l’un des plus beaux personnages de REH, en tout cas le plus sauvage !
Son nom même exprime la double appartenance à la race normande (par son père) et à un clan irlandais (par sa mère) et le conflit intérieur qui l’anime. Dés sa naissance, son avenir - son destin - est fixé, comme cela est souvent le cas pour les héros de Howard. Il a reçu en héritage les passions, les haines et les querelles ancestrales de deux races, mais il est rejeté d’un côté comme de l’autre. Dès lors, il s’expatrie et part pour des contrées inconnues, se jetant à corps perdu dans l’Aventure, qui a pour nom la Troisième Croisade. Notons que jamais Howard n’a décrit avec une telle passion et une telle violence l’Irlande (sa patrie d’adoption par le rêve) déchirée par les luttes de clans et imbibée de sang, sombrant dans la barbarie la plus complète. Et, bien sûr, surgit aussitôt dans notre mémoire Cormac Mac Art, dont Cormac Fitzgeoffrey pourrait être un lointain descendant !
Une fois de plus, Howard fait preuve de sa virtuosité et de son talent incomparables : dès la troisième page du premier récit, nous savons tout de Cormac Fitzgeoffrey. Son histoire, son apparence physique et sa nature profonde. « Un combattant impitoyable, né pour la guerre, pour qui la violence, les tueries et le sang versé sont choses aussi naturelles que la paix l’est pour la plupart des hommes. »
Tout est dit et le reste coule de source. Cormac, être solitaire, sauvage et fier, ne reconnaît aucun maître. Il se méfie de tout le monde et a seulement confiance en son épée ; il compte ses amis sur les doigts d’une main. Ce pourrait être le portrait intérieur de Howard qui s’identifie totalement à ses personnages ou s’exprime par leur intermédiaire. Deux motivations animent Cormac : l’appât du gain, un trésor ou une ville à piller - en fait, comme toujours avec REH, c’est d’avantage la recherche du butin que le butin lui-même qui l’intéresse - et la vengeance. Cormac est fidèle envers ses - rares - amis et mettra tout en œuvre pour les venger, même si, de ce fait, il se met hors-la-loi et est rejeté par sa propre race. Il va jusqu’au bout de lui-même et parfait son image de « desperado » : renégat solitaire, hors-la-loi, il est seul contre tous. Au cours de son errance perpétuelle, il affrontera bien des aventures, mais ne trouvera jamais le repos.
Ces récits sont sans doute les plus violents et les plus sanguinaires que Howard ait jamais écrits. Combats démentiels avec force détails, frénésie guerrière et morts particulièrement sanglantes se rencontrent à chaque page. Dans
Le sang de Belshazzar (l’une de ses histoires les plus étranges, qui semble avoir été écrite dans un état second, au bord de la folie) Howard consacre cinq pages à un combat insensé qui se déroule dans une caverne, autour d’un autel noir, sous le regard de statues représentant des dieux inconnus. Les hommes s’entre-tuent et se massacrent pour s’emparer d’une gemme fabuleuse. Jamais il n’a été aussi loin dans la description d’un carnage ! Le sang coule à flots sous le regard stupéfait de Cormac, le monde entier bascule dans le « bruit et la fureur ». Et jamais Howard n’a écrit la violence et la mort sanglante avec une telle fascination et un tel écœurement : pour preuve le personnage de Skol Abdhur le Boucher qui se vante de ses exactions. Massacres, tortures... folie et sadisme se sont emparés de l’univers ! Aucun espoir de salut et personne ne sera sauvé. Le monde est plongé dans la sauvagerie et la barbarie, dans la nuit et les ténèbres.
Howard lui-même en était conscient, puisque dans une lettre adressée à Harold Preece, il écrivait : « J ‘ai vendu dernièrement une histoire à
Oriental Stories où l’on trouve le personnage le plus sombre que j’aie jamais créé. L’histoire s’appelle “Hawks of Outremer” (Les aigles d’Outremer) et j’ai reçu 120 dollars pour ce récit. Le nom de ce personnage est Cormac Fitzgeoffrey... ce qui me plaît notamment avec ces magazines de Farnsworth Wright, c’est que vous n’êtes pas obligé de faire de vos héros des saints purs et sans tache ! Cormac Fitzgeoffrey s’en va en Orient pour échapper à ses ennemis et prend part à une Croisade. J’envisage d’écrire une série consacrée à ce personnage. »
Le personnage le plus sombre et le plus sauvage de Howard, sans conteste, dans la lignée de Conan, Kull, Bran Mak Morn, Cormac Mac Art et d’autres ! Il est dommage que cette série envisagée par lui ait tourné court, puisque seulement deux histoires complètes furent publiées dans
Oriental Stories : Les aigles d’Outremer (numéro d’avril-mai-juin 1931) et Le sang de Belshazzar (numéro d’automne 1931). Il laissa la troisième inachevée, soit 7 500 mors et le synopsis de l’histoire complète, et ce fur Richard L. Tierney qui la termina (soit 2 800 mots, le dernier tiers) et lui donna son titre : La princesse esclave. Tierney avait également terminé deux histoires de Cormac Mac Art, ce qui n’est pas un hasard.
Quelques « temps forts » de ces aventures orientales au temps de la Troisième Croisade (magnifiquement restituée dans son inutilité, son amertume et sa vanité) : la mort du baron von Gonler, présenté tel un tableau symboliste à la Gustave Moreau, la confrontation Cormac-Saladin, l’histoire dans l’histoire avec le thème de la gemme maudite qui « boit le sang », le thème de l’épée gravée de runes nordiques (qui ne laissa sans doute pas indifférent Michael Moorcock) et les introductions des trois récits (fort proches de celles de Cormac Mac Art) qui ont valeur de panoramiques et de travellings, nous rappelant à nouveau que Howard aurait été un splendide metteur en scène par son sens de l’image et du récit ! Enfin, et non le moindre, la présence en « Background » de Richard Cœur de Lion dont Cormac fut le frère d’armes et le compagnon. Une fois de plus, Howard est prodigue de son talent et chaque récit, par son invention et sa richesse d’images et de thèmes, aurait pu aisément faire un long roman ! Mais déjà d’autres personnages et de nouvelles histoires se présentaient à son esprit, le lançant à corps perdu dans de nouvelles aventures...
Les épées rouges de Cathay la Noire poursuit cette aventure orientale, mais cette fois il s’agit de la Quatrième Croisade. A nouveau, le rêve d’un empire (commun à Conan, Kull et bien d’autres) et Cormac Fitzgeoffrey fait place à Godric de Villerhard. Au royaume d’Outremer se substitue celui de Cathay (La Chine antique). Godric poursuit un rêve, une chimère, le royaume du Prêtre Jean. Rappelons les deux très belles histoires basées sur ce thème, écrites par Norwell W. Page, Les vents de flamme et Les fils du dieu ours, parues aux éditions Opta en 1971, dans la collection « Aventures fantastiques ». Et la très belle bande dessinée qu’en tira El Gringo (alias E.A-Fisher) publiée en 1975 par Real Free Press aux Pays-Bas. Cette histoire parut également dans Oriental Stories (numéro de février-Mars 1931) et fut écrite en collaboration avec Tevis Clyde Smith, l’ami de longue date de Howard, mais Smith a révélé ultérieurement qu’il s’était chargé des recherches historiques et que Howard était le seul auteur de l’histoire. A nouveau un chevalier déçu par la Croisade, perdu dans ses rêves, en errance perpétuelle, mais le rêve devient réalité grâce à la très belle Ylita. Signalons le « happy end » - rare chez Howard - qui conclut ce très beau récit, d’une poésie inhabituelle, au terme d’une longue bataille, racontée avec maestria par Howard, qui oppose Godric à la Horde de Genghis Khan !
Pour terminer ce volume, la très belle nouvelle fantastique,
Les morts se souviennent (prélude à de futurs recueils de nouvelles purement fantastiques !). Cette histoire parut dans Argosy, le 15 août 1936 (deux mois après la mort de Howard). Elle se signale notamment par un ton - volontairement - sec et brutal, à la manière d’Ambrose Bierce, et est particulièrement remarquable par sa construction en forme de puzzle (les différentes dépositions). Hallucination ou réalité... le lecteur reste dans l’expectative jusqu’à la dernière phrase. Un récit mené de main de maître où Howard fait preuve de sa grande connaissance de l’Ouest.
Mais trêve de bavardages, voici Cormac Fitzgeoffrey, le Gaël solitaire et indomptable, dont « la vie, depuis son plus jeune âge, avait été d’une violence et d’une sauvagerie incroyables ».
Voici le plus sauvage d’entre tous !

François Truchaud
Ville-d’Avray
19 octobre 1984.


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