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Vulmea le Pirate Noir

Nouvelles Editions Oswald n°138 (préface)

vendredi 3 décembre 2010, par François Truchaud

Îles à la dérive
A nouveau, une vertigineuse plongée vers l’Aventure et l’Histoire, un passé fabuleux, haut en couleurs, puisque ces trois récits mettent en scène des pirates sanguinaires, avec abordages, trésors mythiques, îles sauvages et temples maudits. La Fraternité Rouge, les Frères de la Côte, la Flibuste, la mer des Caraïbes... l’affaire est entendue. Faut-il mentionner L’île au trésor de Stevenson ? Et, en prime, un nouveau personnage, Vulmea le Noir, pour ce dix-huitième REH chez NéO !
Le lecteur féru de la saga du Cimmérien sait tout l’attachement de « Two-Gun Bob » aux histoires de pirates, et maintes aventures de Conan présentent des histoires analogues (les récits ayant pour cadre la mer intérieure de Vilayet, notamment
La reine de la côte noire). Aussi, tout naturellement, Howard devait-il un jour ou l’autre traiter le genre proprement dit. C’était seulement une question de circonstances, de Destin ? ou de marchés, comme souvent chez notre auteur.
Cette fois, le Destin avait pour nom Conan. Dans les années 1933-1934 (selon l’estimation de Glenn Lord) Howard écrivit une aventure de Conan intitulée
The Black Stranger et l’envoya à Weird Tales. Farnsworth Wright, le rédacteur en chef de cette revue, refusa cette histoire qui faisait 30 000 mots. En effet, le ton était différent des autres aventures de Conan et l’intrigue moins soutenue. Un an plus tard, Howard récrivait cette histoire pour en faire une aventure de pirates, Swords of the Red Brotherhood, la réduisant à 5 000 mots. Il l’envoya à Otis Kline, son agent littéraire de l’époque, le 28 mai 1935. Les pérégrinations du manuscrit au cours des trois années suivantes ne nous sont pas connues. Finalement Kline proposa ce texte, à des fins de publication, à Golden Fleece, un magazine spécialisé dans les aventures historiques. Ce magazine devait cesser de paraître peu après l’envoi du manuscrit, qui fut retourné à Kline (à cette époque, Howard était mort), et ce texte resta dans les limbes... jusqu’en 1976, date de la publication par Donald M. Grant du livre de Howard, Black Vulmea’s Vengeance, comprenant les trois nouvelles du présent recueil.
Pour en terminer avec cette anecdote, rappelons que L. Sprague de Camp découvrit en 1951 trois histoires inédites de Conan qu’il récrivit et adapta, pour les intégrer plus logiquement dans la saga du Cimmérien. Parmi les trois histoires figurait
The Black Stranger : il lui donna un nouveau titre, The Treasure of Tranicos, trouvant que l’adjectif black/noir revenait un peu trop souvent dans les titres des récits de Howard. Trois versions différentes furent publiées, et la dernière, définitive, figure dans le volume Conan l’Usurpateur (n°7, collection Titres/SF, 1982), sous le titre français Le trésor de Tranicos.
Lorsque l’on compare
Les épées de la Fraternité Rouge et Le trésor de Tranicos, les histoires, l’intrigue et les personnages sont pratiquement identiques. Les noms sont différents, bien sûr, ainsi que l’époque et le contexte, et il n’y a aucun élément surnaturel dans Les épées... Pourtant on oublie très vite les ressemblances pour se plonger dans la lecture d’un texte qui semble curieusement original. La magie du verbe de Howard fonctionne à merveille et nous présente un autre univers, celui de l’Aventure flamboyante, qu’arpente à grands pas Terence Vulmea, le pirate noir !
Vulmea est coulé dans le même moule que les autres personnages howardiens, pour notre plus grand plaisir. Irlandais (ce détail prendra toute son importance dans la seconde nouvelle) et celte, il s’inscrit dans la lignée de Bran Mak Morn et de Cormac Mac Art. C’est l’Aventurier par excellence, et out est dit. Dés les premières pages, il
existe, et la suite coule de source. Dès qu’il apparaît, il se met sur le devant de la scène et conduit l’action ; les autres personnages semblent secondaires, en comparaison. Notons que cette histoire se passe en lieu clos, pour la plus grande part, et qu’il y a presque unité de lieu et de temps, comme dans la tragédie classique (mais le ton est plus proche des tragédies de Victor Hugo, curieusement). Quelques thèmes typiquement howardiens : les gemmes maudites (ici le trésor de Montezuma) conduisant les hommes à la folie et à la mort, l’histoire dans l’histoire (procédé utilisé au moins trois fois dans la première nouvelle !), la vengeance implacable (celle de l’homme noir) le code d’honneur de Vulmea, la bataille et le massacre final, le bain de sang et le carnage. Notons le dernier paragraphe, où souffle l’aventure, qui n’est pas sans rappeler la fin de certaines histoires de Conan ! Et l’héroïne s’appelle Françoise de Chastillon (en fait Howard écrivait d’Chastillon !)... le lecteur est en pays de connaissance.
La vengeance de Vulmea le Noir fut publié dans le magazine Golden Fleece en novembre 1938 (soit un an et demi après la mort de Howard). Cette histoire permet à Howard d’approfondir son personnage, son caractère moral (ici, sa motivation principale est la vengeance). Il cite même des personnages figurant dans la première histoire : Villiers, Harston... et Tranicos ! Après un début fulgurant et surprenant (deux pages se passant en mer, un abordage sanglant), le reste de l’histoire se passe à terre. Tout donne l’impression que Howard s’attache davantage à ses personnages, se contentant de rappeler les aventures « maritimes » en filigrane (l’histoire dans l’histoire) et s’en servant comme d’un « background » au souffle évocateur. Howard prend fait et cause pour les opprimés (ici l’Irlande) et Vulmea brûle du désir de se venger. Puis, au milieu du récit, son attitude change, et nous retrouvons un autre grand thème howardien : l’attitude chevaleresque de ses héros envers les femmes. Je n’en dis pas plus, mais c’est une idée sublime ! Parmi les autres ingrédients, citons un trésor, les Crocs de Satan, une cité en ruines au milieu de la jungle, un démon (typiquement howardien), un autel sanglant et un final magnifique (l’amitié impossible, l’estime réciproque, valeur essentielle aux yeux des personnages howardiens). Comme à son habitude, Howard tisse une aventure échevelée et n’accorde au lecteur pas un seul instant de repos.
Les pirates du temple maudit fait partie de ces histoires inédites à la mort de Howard et qui ne furent publiées que beaucoup plus tard : celle-ci parut seulement en 1976 dans le recueil publié par Donald M. Grant, déjà cité. C’est l’un des plus beaux récits de « Two-Gun Bob » et l’un des plus personnels. Le romantisme coule à flots dans cette aventure racontée à la première personne ! La jeune femme s’appelle Helen Tavrel (rappelons que l’un des pseudonymes de Howard fut John Taverel) et le prénom du jeune homme est Stephen ou Steve. Je n’insiste pas. Le personnage d’Helen, femme-pirate, est l’un des plus beaux de Howard (proche de Agnès de Chastillon) et nous permet de saluer au passage Jacques Tourneur pour La flibustière des Antilles et Le corsaire rouge, bien sûr ! Tout le récit baigne dans l’onirisme (la cascade protégeant l’entrée de la grotte, évoquant celle de Johnny Guitar, de Nicholas Ray) et le cauchemar (les marécages, dont la traversée n’est pas sans rappeler la nouvelle d’El Borak, Le récit de Khoda Khan) l’atmosphère maléfique du temple et son cortège d’ombres surgies du passé. Mais Howard s’attache surtout aux relations de Helen et de Stephen. Le jeu de l’affrontement/attirance, de la fascination/répulsion, du mépris/respect, est superbement traité. Leur dialogues sont sublimes et les situations ne manquent pas d’humour. Pages 148, Steve avoue qu’il déteste les femmes, parce qu’elles manquent souvent de cœur ! Mais le plus important est que Howard inverse délibérément les rapports : Helen se comporte comme un homme et Steve beaucoup plus comme un femme. Sans se lancer dans une psychanalyse hasardeuse, le fait valait d’être signalé. Une fois de plus, Howard rêve l’Aventure et rêve le Monde, le réorganisant à sa façon, instituant de nouveaux rapports.
Une magie particulière imprègne cette nouvelle où les personnages s’affrontent et se déchirent, à la recherche de leur vérité profonde, de l’estime de l’Autre. Foisonnant d’images symboliques, « chargées », cette aventure est bien une confession intime de Howard, se livrant sans détour au lecteur.
Îles à la dérive... rêves à la dérive... l’Aventure flamboyante... Howard poursuit son rêve, amassant et tissant les images pour reconstruire le monde à son image. Le désir de vengeance de Vulmea le Noir, l’aventure-passion de Helen et de Stephen... la quête sans fin de REH à la recherche de lui-même.
Une symphonie du
rouge et du noir, écrivais-je à propos du Pacte Noir, les couleurs fondamentales de « Two-Gun Bob »... le noir de Vulmea et le rouge de Sonya en juillet 1985... tout s’ordonne en un accord parfait. Et Howard continue de rêver...

François Truchaud
Ville d’Avray
25 avril 1985.


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