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In Memoriam
vendredi 6 janvier 2006, par
La mort soudaine de Robert E. Howard survenue le 11 juin a porté un rude
coup au monde du fantastique. Mr. Howard était un écrivain fantastique
unique en son genre. Eternel champion de la simplicité du barbare contre
la subtilité du civilisé, sa nature transparaissait dans la vigueur
et la sincérité de son œuvre. Il s'investissait toujours
complètement dans tout ce qu'il écrivait, à tel point
que même ses productions les plus commerciales possèdent un accent
et une saveur d'authenticité qui manquent à la production
courante des pulps. Dans ses récits, les sentiments sonnent vrai, qu'il
s'agisse d'aventure, de conquête, ou de crainte, de terreur
sacrée.
Mr. Howard est né à Peaster, dans l'Etat du Texas, le 22
janvier 1906, et il a toujours vécu dans le Sud ; sa dernière
résidence étant Cross Plains au Texas. C'était un
ardent défenseur des traditions de sa région natale, et le spécialiste
autorisé de son histoire.
Mr. Howard commença à écrire à l'âge
de quinze ans, et sa première œuvre publiée le fut dans Weird
Tales quatre ans plus tard. Il devint rapidement populaire, et son nom fut bientôt
synonyme de récits vigoureux de luttes et de carnages dans le climat
des premiers âges, des horreurs de la nécromancie, et du mystère
qui hante les ruines primordiales.
« Le Royaume des Chimères », paru en août
1929 dans Weird Tales marqua la première apparition de ce monde préhistorique
inlassablement peint, que Mr. Howard allait bientôt rendre célèbre.
L'époque la plus récente de ce monde - et son héros
mémorable Conan le Cimmérien - apparut en 1932 avec « Le
Phénix sur l'Epée ».
Mais l'activité de Mr Howard ne se limitait pas au seul fantastique.
Ses récits sur la boxe ont fait le bonheur de plus d'un rédacteur
de magazine sportif, tandis que ses nombreux contes orientaux, si vivants, exprimaient
avec force le talent tout particulier qu'il possédait pour décrire
des scènes de bataille. L'année passée il avait commencé
à écrire des récits ayant pour cadre les paysages qui l'avaient
vu naître - saine tendance qui l'aurait sans doute conduit
à devenir un auteur régional reconnu. Les lecteurs de Weird Tales
savent aussi quels furent les apports de Mr. Howard en tant que poète.
Robert Howard n'était pas marié, et résidait chez
ses parents, presque à la campagne, dans les faubourgs de Cross Plains.
Son père, un médecin de grande renommée, fut l'un
des pionniers des plateaux du centre du Texas. Robert était diplômé
du Howard Payne College de Brownwood et l'écriture était
sa seule profession. En littérature, l'aventureux l'attirait
davantage que l'analytique, et dans l'étude, sa préférence
allait à l'histoire du sud-ouest des Etats-Unis, des Celtes, et
de l'Orient. Il était brillant athlète amateur, et pratiquait
avec assiduité toutes sortes de sports. Il méprisa toujours les
cultes et coteries esthético-littéraires, respectant la force
plus que l'érudition. Il ne rencontra personnellement qu'un
seul de ses collègues fantaisistes, le brillant E. Hoffmann Price, bien
qu'il ait entretenu avec de nombreux auteurs une correspondance volumineuse
et d'une philosophie pénétrante.
Mr Howard était le type même de l'athlète : haut
de près de six pieds, il pesait cent quatre-vingt-quinze livres. Il avait
un teint très foncé, mais les yeux bleus. Il avait un tempérament
chaleureux et hospitalier, adorait la vie active et la bonne chère en
bonne compagnie. Sa mort représente une perte incalculable, car n'est
pas encore né celui qui reprendra son flambeau.
Howard Phillips Lovecraft
Première édition dans « The Pantagruel »
- 1936
Traduction de Philippe Gindre © Robert Laffont