Le premier site français sur Robert E. Howard

Accueil > Littérature > Howard et moi

Howard et moi

lundi 28 avril 2008, par François Truchaud

C’était en 1969/1970. À l’époque, j’étais un grand admirateur de Frank Frazetta, et j’achetais ce que je pouvais trouver sur lui, notamment les livres dont il avait illustré les couvertures. C’est ainsi que je trouvais la série Conan parue chez Lancer Books. J’ouvris au hasard Conan the Freebooter et lus Shadows in the Moonlight (Des ombres dans la clarté lunaire). Je fus tout de suite impressionné par le rythme de la narration, la rapidité du récit, la présentation des personnages, le décor installé dès les premières pages, et le personnage de Conan, bien sûr ! Howard était un conteur né, un fabuleux créateur d’images. Peu après cette découverte, j’appris que Edition Spéciale (qui deviendrait les éditions Jean-Claude Lattès) comptait publier la série Conan. Je les contactais et leur dis que je désirais traduire ces textes. Je fis un essai de traduction, qui fut accepté, et c’est ainsi que je traduisis Conan, la Fin de l’Atlantide et Conan, la Naissance du monde, parus en 1972. Fasciné par cet auteur, je cherchais d’autres textes et, parmi d’autres projets dans le domaine du fantastique, j’eu celui de publier un énorme recueil de nouvelles d’Howard, principalement à partir du recueil américain Skull-Face and Others, paru chez Arkham House, que je proposais à divers éditeurs, qui ne furent guère intéressés (j’avais un projet de collection fantastique que j’avais appelé Le Pacte Noir !).

En 1975, Jacques Van Herp, qui dirigeait la collection Le Masque/SF à la Librairie des Champs-Elysées, lança la collection Le Masque/Fantastique, et me proposa de traduire des ouvrages (je connaissais Van Herp depuis le Cahier de l’Herne consacré à Lovecraft). Quand je le rencontrais, j’avais apporté mon projet Le Pacte Noir, mais parmi les livres qu’il comptait traduire, il y avait The Dark Man (L’Homme noir !). Coïncidence, hasard, logique implacable, destin ? Je sautais dessus, bien sûr, le traduisis, et écrivis une préface, une initiative (je devais faire la même chose pour Carnacki et les fantômes d’Hodgson) qui me semblait normale et naturelle, et dont les conséquences seraient immenses. Ce fut le numéro 1 de la série.
Peu après, je traduisis grâce à Fershid Barucha deux numéros de l’Echo des Savanes « Spécial USA » consacrés à Howard et aux bandes dessinées tirées de son œuvre. Fershid m’avait rapporté des Etats-Unis The Last Celt de Glenn Lord, la monumentale bio-bibliographie d’Howard, une découverte de taille qui me fit réaliser l’étendue de son œuvre et la tâche longue mais exaltante qui m’attendait !

Je fais un bond dans le futur : quand les éditions Jean-Claude Lattès publièrent la collection Titres/SF, dirigée par Marianne Leconte, celle-ci reprit les trois volumes parus chez Edition Spéciale, sous les titres Conan, Conan l’aventurier et Conan le guerrier, et me demanda d’en traduire trois autres : Conan le Cimmérien, Conan le Flibustier et Conan le Conquérant, parus en 1980 - 1982.
En 1978, Hélène et Pierre Jean Oswald créaient les Nouvelles Editions Oswald et lançaient notamment leur collection fantastique. Ils me contactèrent et me dirent qu’ils voulaient publier des textes d’Howard ! Est-ce que j’avais quelque chose à leur proposer ? Quand je les rencontrais, je leur dis que je voulais publier un « pavé », Le Pacte Noir. Ils acceptèrent. Je traduisis les textes et le livre sortit en 1979, 300 pages, c’était le numéro 2 de la collection. Quelques mois plus tard, ils me demandèrent si j’avais autre chose, le livre ayant été bien accueilli. Je leur proposais Kull, que j’avais commencé à traduire pour Le Masque/Fantastique, traduction abandonnée à la suite de l’arrêt de la collection série 1 (un scoop : à l’époque, Van Herp et moi avions l’intention de publier la série Conan, mais...). Kull le roi barbare parut en 1980, les lecteurs de NéO furent ravis et demandèrent la suite. Deux volumes consacrés à Solomon Kane venaient de paraître aux Etats-Unis, c’était l’occasion rêvée ! Solomon Kane et Le Retour de Kane parurent en 1981 et 1982.

Ensuite, Néo reprit L’Homme Noir et l’aventure continua. Au départ, je pensais sortir quatre à cinq ouvrages d’Howard, mais je découvris au cours de séjours à Londres de nouvelles publications et de nouveaux personnages : Bran Mak Morn, Cormac Mac Art, El Borak et d’autres. Je compris que la liste serait plus longue que je ne l’avais pensé. Je correspondais avec Glenn Lord depuis quelque temps et je lui demandais de m’envoyer des inédits (aux USA) d’Howard : notamment les textes composant El Borak l’Eternel, Steve Harrison, Steve Costigan etc. Entre-temps, je recevais des Etats-Unis des fanzines qui publiaient des textes inédits d’Howard. Je disposais à présent d’un matériel impressionnant pour plusieurs années et j’étais en mesure de composer des volumes en « première mondiale », rassemblant des nouvelles fantastiques, publiant des textes inédits aux USA, proposant de nouveaux personnages d’Howard, cernant l’homme et suivant sa démarche au cours des années, sa recherche de nouveaux « débouchés », ses réussites et ses échec, jamais découragé et toujours passionné, désireux de vivre ses rêves.

À partir d’El Borak, devant la demande grandissante et l’enthousiasme des « fans » de NéO, je proposais aux Oswald de sortir un Howard tous les deux mois, pour publier l’intégrale de son œuvre, et c’est ainsi que parurent 37 titres d’Howard, avec les poèmes Chants de Guerre et de Mort en point d’orgue, jusqu’en 1990. Puis NéO s’arrêta mais mon projet ambitieux avait été mené à son terme ou presque. Il ne restait plus que quelques inédits (des histoires de boxe, des fragments, les westerns). Bien sûr, il y avait la biographie d’Howard par Sprague de Camp (même réserves que pour sa biographie de Lovecraft), mais surtout la correspondance REH -HPL, le superbe livre de Novalyne Price Ellis One Who Walked Alone, et la « suite » de Bran Mak Morn (par Karl Edward Wagner) et de Cormac Mac Art (par Andrew J. Offut). Tout cela est resté dans mes cartons.
Ce furent dix ans de bonheur absolu, d’enthousiasme et de passion. Comme je l’ai dit, tout s’est passé naturellement. Coïncidences, hasard, rencontres, destin ? Les volumes se présentaient, s’ordonnaient, comme si cela allait de soi, sans rencontrer le moindre obstacle. Quant au travail de traduction proprement dit, j’étais littéralement « habité » par Howard. Dès les premières lignes, j’étais emporté par son rythme, son inventivité, sa création, et j’étais transporté dans un autre univers jusqu’à la fin du livre. Peut-on parler de « traduction automatique » comme on parle d’écriture automatique ? J’avais souvent l’impression que Howard était à côté de moi quand je tapais mes traductions, que nous plaisantions ensemble, ravis de ses « trouvailles » de narration, de sa multitude de personnages, partageant le même plaisir de l’écriture et de l’imaginaire. J’avais souvent du mal à « redescendre sur terre ». Je n’avais encore jamais éprouvé un tel plaisir à traduire un auteur, à découvrir l’homme derrière ses écrits, disposant d’une liberté totale et de la confiance que me faisaient les Oswald. En fait, ce n’était pas un travail, mais une joie, une communion, une osmose totale avec Howard.
Parmi mes textes préférés, il y a les nouvelles fantastiques, bien sûr, et parmi les personnages, Solomon Kane, Cormac Fitzgeoffrey, El Borak, Conan, naturellement, mais le choix est difficile. En fait, ils forment un tout et sont indissociables. Howard a créé un monde à part, fascinant et envoûtant. La magie du verbe et de la création.

François Truchaud
Ville d’Avray, avril 2008