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Le Dernier Dutronc

mercredi 20 février 2008, par Argentium Thri’ile

- The Last of the Trunk
- Robert E. Howard
- Ouvrage dirigé par Patrice Louinet
- The Robert E. Howard Foundation Press - 2007
- Moyen format - 657 pages reliées avec jacket
- Illustration de jacket par Tom Foster

THE LAST OF THE TRUNK était le rêve ultime des fans les plus forcenés de Howard, qui déjà depuis THE LAST CELT [1] gardaient un œil fiévreux sur la liste des textes de l’auteur Texan restés inédits au fur et à mesure des décennies, et sa publication ne pouvait incomber à un autre éditeur que la REH Foundation, au bout d’un peu plus d’un an d’existence. Car, on y trouve regroupé en un seul et même volume pratiquement tous les textes [2] qui étaient restés inédits jusqu’à ce jour, le fond de la malle dans laquelle Howard enfermait ses manuscrits inachevés ou qu’il n’était pas parvenu à placer auprès des magazines avec lesquels il travaillait, et que Glenn Lord mit des années à retrouver.


Une fois l’objet en main, l’illustration de la jacket nous rappelle d’ailleurs malicieusement l’origine de son contenu. Attention cependant, certains peuvent être rebutés par l’esthétique très pulps de cette illustration.
Qu’à cela ne tienne, si on le déshabille, on découvre une belle et sobre couverture rigide noire façon cuir, qui arbore sur la tranche des lettres argent, un peu la marque de fabrique de la REH Foundation. Et, pour rester sur le thème de la fabrique, la facture de l’objet obéit aux mêmes critères de qualité que ses autres publication. Rien à dire de ce côté-là !
Passées les premières pages de présentation légales et d’une petite dédicace, le sommaire nous fait la promesse de 88 textes, comme autant de petits bonheurs littéraires, classés par catégories. Puis vient une préface de Patrice Louinet, très finement intitulée "The Good, the Bad, the Ugly", qui se présente un peu comme une mise en garde quant aux pages qui sont à venir. Nous y reviendrons plus loin car, avant de développer la critique même de l’ouvrage, nous allons très prosaïquement commencer par en étudier le contenu :
Pratiquement la moitié de celui-ci - 306 pages - est constituée de récits de boxe.
Nous démarrons avec deux récits mettant en scène le fameux Sailor Steve Costigan. Concernant ceux-ci, le lecteur français a été prévenu en son temps, il a été béni des dieux : ces deux récits sont restés inédits à ce jour, partout sauf en France ! En effet, ’Blue River Blues’ est paru dans STEVE COSTIGAN LE CHAMPION [3], tandis que ’The Battling Sail’ est paru dans le recueil DENNIS DORGAN [4]. Néanmoins les puristes anglophiles ont enfin l’occasion de lire ces deux récits tels qu’ils ont été écrits...
Nous enchaînons sur des récits mettant en scène Kid Allison, le Texas Wild Cat. Prolongeant et achevant ainsi l’œuvre de réédition de Jonathan Bacon dans FANTASY CROSSROADS [5], nous nous retrouvons donc avec l’ensemble des nouvelles de ce personnage méconnu publiées. Les caractéristiques du personnage sont assez similaires à ses autres personnages de boxeur : naïf, bagarreur, hâbleur... et pourtant les différences existent, de façon notable, et sont éminemment intéressantes : Le Kid est un boxeur professionnel (fait déjà exceptionnel), qui a une petite amie en titre (elle-même personnage très savoureux), qui forme un duo avec son manager, Jack Reynolds (la dualité muscles et cervelle que l’on retrouve dans ses récits de boxe les plus sérieux)... mais surtout, on trouve dans ces nouvelles au ton très légèrement burlesque un aspect très ’terre-à-terre’ sur lequel nous reviendrons plus loin.
On finit sur plusieurs autres récits de boxe plus divers. Une fois de plus, force est de constater qu’en son temps, le lecteur français a eu droit à quelques superbes exclusivités. Ainsi, il aura fallu pratiquement vingt ans pour que les fans anglo-saxons puissent enfin partager le plaisir qu’ont eu les français en découvrant ’The Weeping Willow’ [6] ! Outre cela, nous avons plusieurs récits plus ou moins sérieux ou burlesques, dont l’une des perles est sans conteste ’Fighting Nerves’, qui là encore mélange un humour savamment dosé et l’histoire excellemment menée d’un boxeur qui, pour calmer ses nerfs surmenés, se repose en entraînant un futur champion du ring.
Les 167 pages suivantes, soit plus d’un tiers du total, sont consacrées à des récits qui, probablement par défaut, on été classés dans la catégorie "Other Stories" :
Nous retrouvons dans cette section l’essentiel des fragments, qu’ils soient inachevés ou incomplets, et pour certains très courts (moins d’une demi-page). Certains d’entre eux ont une valeur toute particulière en regard de la bibliographie de l’auteur. Ainsi en va-t-il de ’The Slayer’ qui se proposait de devenir une suite de ’The Hyena’ [7] et qui a peut-être bien servi de modèle pour bâtir plus tard ’Black Country’ [8]. ’The Shadow in the Well’ nous montre que Howard avait commencé à travailler la nouvelle dont jusqu’à présent n’avait été édité que le synopsis [9]. ’The Ivory Camel’ est peut-être aussi un démarrage avorté de la nouvelle ’The Brazen Peacock’ [10]. Le fragment sans titre connu par son incipit ’William Aloysius McGraw’s father...’ fait ressurgir les savoureux personnages de ’The Ghost with the Silk Hat’ [11].
D’autres sont plus surprenantes car elles marquent les quelques rares tentatives que notre Texan fit du côté de la science-fiction et de l’anticipation. Ainsi en va-t-il de ’The Man Who Went Back’, histoire d’un homme qui a l’opportunité de retourner dans le passé et qui décide d’y emmener un singulier compagnon d’aventure. Dans le synopsis ’Hunwulf, an American...’ - un pré-synopsis pourrait-on même dire - le voyage se fait maintenant vers un futur que Lovecraft n’aurait pas renié.
Certains encore sont plus déroutants encore, avec par exemple ’The Dominant Male’ qui se présente comme une réflexion et une ode au "tortillement du popotin féminin dans l’histoire des hommes" [12]...
Enfin et surtout, on trouve dans cette section des petits bijoux tels que ’Incongruity’ qui démarre d’une façon assez proche du ’Pickman’s Model’ [13] de Lovecraft et prend un tour tout aussi macabre, mais avec une cruauté malsaine à souhait, ou encore ’Fate is the Killer’ qui nous parle d’une étrange prédestination...

Comme un entracte, sur une quinzaine de pages on retrouve ensuite trois essais dont la pièce maîtresse est sans aucun doute ’In His Own Image’ qui nous livre un témoignage sur les impressions que lui a laissé un voyage à la Nouvelle-Orléans.

Viennent enfin 150 pages d’écrits de jeunesse, pré-professionnels, répartis entre ses écrits datant d’avant 1924 et ceux datant du lycée.
Nous retrouvons à nouveau deux récits - cette fois plus longs - mettant en scène Steve Bender, Weary McGraw et la Baleine, qui apparaissaient plus haut dans le fragment ’William Aloysius McGraw’s father...’. Mais aussi retrouvons-nous le personnage de Bill Smalley, l’impayable héros de ’Bill Smalley and the Power of the Human Eye’ [14], dans la nouvelle ’The Ghost of Bald Rock Ranch’.
Très intéressant, si ce n’est par sa qualité, tout du moins pour le fond, ’The Last Man’ nous emmène à nouveau à la frontière de l’anticipation, en développant plus loin l’idée de base de ’The Last White Man’ [15] qui avait déjà été publié et qui nous renseigne plus loin sur l’une des grandes peurs géo-politiques de Howard (qu’il avait par ailleurs déjà exposée dans l’une de ses lettres). Frôlant encore l’anticipation, mais plus anecdotique, nous avons ’A Twentieth Century Rip Van Winkle’ qui nous narre le retour d’un américain à la civilisation après vingt ans coincé sur une île.
On retrouve aussi une évocation de réincarnations, thème cher à notre auteur, dans ’Through the Ages’ qui aurait bien pu constituer un premier jet de ’The Wheel Turn’ [16], lui-même inachevé.
Dans un registre plus loufoque, nous avons, dans la lignée de quelques textes qui apparaissent dans WEST IS WEST AND OTHERS [17], ’What the Deuce ?’, où un homme rencontre les sympathiques grands pontes des Enfers ou encore ’A Unique Hat’ où Howard se présente comme un bonimenteur de première force.
On termine plutôt en beauté avec ’The Wings of the Bat’, qui nous rappelle des titres comme ’Black Country’ - à nouveau ! - ou ’Kelly the Conjure-Man’ [18].

Cerise sur le gâteau, et comme à l’accoutumée avec Patrice Louinet, on retrouve une postface contenant de nombreuses et précieuses notes bibliographiques. On l’aurait bien évidemment espéré plus longue, mais encore fallait-il probablement qu’il y ait plus de matière pour l’alimenter...

Le livre est donc épais, le contenu foisonnant... mais est-ce un bon ouvrage ? Comme cela a été dit en introduction, la réponse se trouve dans la préface de l’ouvrage :
"Le Bon, le Mauvais et l’Affreux" résume effectivement la grande diversité de qualité des différents textes qui s’y trouvent rassemblés. Avant toute chose, et en guise de mise en garde, il faut bien garder présent à l’esprit que la majeure partie de l’opus présente des récits inachevés et/ou incomplets, n’en laissant que 24 complets, auxquels s’ajoutent 2 synopsis et 1 outline. Parmi ceux-ci, certains sont trop brefs ou trop cryptiques pour présenter un réel intérêt pour le casual reader.
Ensuite, il est bon aussi de se rappeler que ceux-ci furent relégués dans le coffre au sein duquel Howard amassait ses écrits inachevés, car ne correspondant probablement pas à ses propres standards d’écriture, et ceux qu’il n’avait pas réussi à vendre, qui donc ne correspondaient pas aux standards des éditeurs de l’époque. On en a eu mainte fois la démonstration, un artiste n’est pas forcément le meilleur juge de son œuvre, et les éditeurs ont parfois des attentes ou des impératifs éditoriaux qui semblent difficiles à saisir. Toutefois, si certains de ces écrits sont parfois très honorables et auraient mérité d’être publiés plus tôt, une bonne partie d’entre eux présentent très nettement un certain manque, non pas de qualité, mais de maturité par rapport aux grands classiques de notre auteur.
Dans ces textes, les bons passages ne manquent pas ; les bonnes idées en devenir sont bien présentes, mais - ne nous y trompons pas - l’ensemble pourrait certainement décevoir le lecteur qui y chercherait la qualité des récits des héros ou des aventures les plus populaires de Two-Gun Bob.
D’un autre côté, "Le Bon, la Brute et le Truand" démontre bien comment Howard se présente tour à tour dans ce recueil. Car, la grande force de l’ouvrage, au même titre que ce qu’a pu être LA TOMBE DU DRAGON [19] en son temps et sous nos latitudes, est de nous présenter les facettes les plus insoupçonnées de l’écrivain.
Loin des genres littéraires qui ont rendu Howard populaire, que ce soit l’heroic fantasy de Conan ou de Kull, le fantastique de Conrad et Kirowan, le Burlesque de Breckenridge Elkins - pour ne citer que ceux-là - tous ces textes nous montrent essentiellement les diverses expérimentations littéraires auxquelles il s’est livré avant d’asseoir sa carrière et son style. La plupart de ces tâtonnement sont restés lettres mortes, mais n’en sont pas moins très intéressants, au minimum pour ce qu’ils sont : le terreau sur lequel ont poussé ses meilleurs récits !

Bien plus loin encore, un aspect, plus ou moins diffus mais réellement présent (peut-être car concentré en un seul volume), se dégage d’une manière particulièrement étonnante : Howard nous apparaît ici comme quotidien - par défaut d’un terme plus idoine.
Howard est le chantre de l’Epique, du bigger than life. Ses meilleurs récits restent dans le domaine du crédible, même dans le domaine du Fantastique, mais ils prennent une dimension supérieure de dépassement afin de délivrer un récit qui marque son lecteur. A l’inverse, si nous prenons ’POST OAKS AND SAND ROUGHS’ [20], la biographie romancée de ses années lumières, comme les appelaient François Truchaud, le récit reste enferré dans le quotidien, avec son tombereau de vétilles et de considérations les plus ancrées dans le terre-à-terre.
Et c’est bien ce qui apparaît dans de nombreux textes de ce recueil, principalement dans la section "Other Stories" et ses textes de jeunesse.
Ainsi en va-t-il de ’The Grove of Lovers’. Si l’histoire apparaît globalement dans la lignée de ses récits, Howard prend tout de même le temps d’une mise en place inhabituellement longue. Et cette mise en place nous détaille simplement l’arrivée d’une jeune femme dans un village, recueilli par un fermier, et la vie de celle-ci. Quant à la finalité de l’histoire, elle nous reste inconnue car le texte reste inachevé. Il semble que ce soit une histoire d’amour tragique, voire de meurtre. Quoi qu’il en soit, la facture générale de l’histoire laisse à penser qu’elle n’aboutira qu’à un récit de village, tels qu’ont pu s’en raconter des grands-mère entre elles depuis des génération.
De façon plus prononcée, ’The Dominant Male’, qui place un homme et sa compagne dans une chambre. Au travers des diverses réflexions plus ou moins éclairées de l’homme et surtout dans le dialogue entre eux, on trouve un grand degré de trivialité. Ce sont les pensées et les réactions de personnages du commun, celles que tout un chacun pourrait avoir. ’The Paradox’, qui vient juste après, nous présente les faits et gestes d’un homme des plus banals. Il en va de même pour le fragment sans titre qui suit, ’Mike Costigan, writer and self-avowed futilist...’. On continue encore avec ’The Splendide Brute’ qui, bien que déjà plus active dans la conduite du récit, et étant probablement prévue initialement pour rentrer dans les types de ses récits les plus typiques, nous présente une brutalité et un type de réactions qui ne devait pas être particulièrement incongrue à l’époque et dans la région où lui-même vivait. Et la liste pourrait être encore plus longue...
Howard apparaît dans de nombreux passages ou dans des textes entiers comme ceux cités précédemment, qui nient en quelque sorte le particulier pour s’attacher au plus grand dénominateur commun et dans le même temps rejette l’universel pour s’attarder sur l’anecdotique qui construit le quotidien, comme observateur - ou transcripteur - de la réalité la plus terre-à-terre.
Howard avait-il besoin de passer par cette phase de "réalisme" avant de pouvoir s’en échapper et bâtir les écrits bigger than life que nous lui connaissons ?
Il n’en reste que toutes ses pages nous présentent cet aspect très particulier de l’auteur, qui n’est pas sans intérêt pour les fans et les exégètes, car elles sont plus que probablement très empreintes des idéaux, des croyances et des propres réflexions de leur auteur, et nous permettent de mieux comprendre et appréhender son esprit.

Pour conclure, répondons enfin à la question : Est-ce un bon livre dont on puisse conseiller l’achat ?

Il l’est au premier chef, pour autant que l’on ait bien conscience de ce qu’il contient, de ce qu’il représente et de ce qu’il peut apporter à son lecteur.
Au lecteur amateur des plus grands achèvements de Howard, qu’il s’agisse de Conan, de ses récits historiques ou fantastiques, il manquera immanquablement - répétons-le - le brio inimitable et le souffle épique de ce qu’il a l’habitude de lire. Lire des fragments est en soi que moyennement réjouissant. En considérant que la plupart des meilleurs fragments ont déjà été exploités dans diverses publications au fur et à mesure des périodes de boom howardien, ceux qui restent ne seront probablement pas les plus enchanteurs pour beaucoup. A plus forte raison, il semble peu concevable que l’on puisse commencer à lire du Howard en commençant par ce titre. Ce serait à coup sûr se fermer la porte à un excellent auteur. Tout n’est cependant pas noir, car la première moitié du livre, tous les récits de boxe, sont plutôt de bonne qualité. Les amateurs de ce type d’écrits de Howard ne seront probablement pas déçus.
Néanmoins, de façon plus générale, pour le fan qui a envie de connaître les aspects les plus insoupçonnés de l’œuvre de notre auteur, pour celui qui fait partie de ces passionnés qu’on appelle des completists, ou encore pour celui qui a envie d’étudier les tenants et aboutissants de son œuvre, cet ouvrage est un must have de premier ordre. Les sujets d’étonnement ou d’études y sont légions et - n’en doutons pas - donneront probablement matières à de nombreux nouveaux articles.

C’est une preuve, s’il fallait s’en convaincre, qu’avec des ouvrages de ce type, la REH Foundation remplit sa mission, et ce de fort belle façon.


[1Editions Donald M. Grant 1976

[2A seize textes près selon mes calculs, si l’on excepte les textes qui sont encore aujourd’hui considérés comme irrémédiablement perdus.

[3Editions NéO n°187 - 1987

[4Editions NéO n°192 - 1987

[5Trois nouvelles furent publiées dans SPORT STORY MAGAZINE (Septembre, Octobre et Décembre 1931) et furent rééditées dans FANTASY CROSSROADS n°3, 4/5 et 7 (Mai et Août 1975, Février 1976)

[6Publié dans le recueil Poings d’Acier, édition NéO n°217, 1989

[7Première publication dans WEIRD TALES de Mars 1928

[8Première publication dans WEIRDBOOK SIX, édité par W. Paul Ganley en 1973

[9Première publication dans CROMLECH n°2, édité par Marc A. Cerasini à l’automne 1971

[10Première publication dans REH : LONE STAR FICTIONEER n°3, édité par Nemedian Chronicles à l’automne 1975

[11Première publication dans WRITER OF THE DARK, édité par Dark Carneval Press en 1986

[12cette description (que je trouve excellente et tellement juste) n’est pas de moi...

[13Première publication dans le WEIRD TALES d’Octobre 1927

[14Première publication dans The Dark Man n°2, édité par Necronomicon Press en 1991

[15Première publication dans THE HOWARD COLLECTOR n°5, édite par Glenn Lord à l’été 1964

[16Première publication dans BRAN MAK MORN : THE LAST KING, édité par Del Rey en 2004

[17Edition Roehm & Runions, Février 2006

[18Première publication dans THE HOWARD COLLECTOR n°5, déjà cité.

[19Editions NéO, Collection NéOmnibus n°1 - 1991.

[20Editions Donald M. Grant 1990 (paru en France sous le titre LE REBELLE, NéO n°217)