Le premier site français sur Robert E. Howard

Accueil > Littérature > Préfaces de François Truchaud > El Borak le Redoutable

El Borak le Redoutable

vendredi 4 septembre 2009, par François Truchaud

Gordon d’Arabie

Voici le dixième livre d’Howard chez Néo ! A peine le tiers de l’œuvre à paraître... le lecteur n’est pas encore au bout de ses plaisirs et de ses découvertes ! En attendant Wild Bill Clanton, Kirby O’Donnell, Steve Harrison et d’autres héros sublimes surgis des rêves et de l’esprit d’aventure de Two-Gun Bob, voici le second volet de la légende de Francis Xavier Gordon, El Borak !
Les trois aventures racontées dans
El Borak l’Invincible se passaient en Afghanistan ; ici changement de décor radical, puisque deux de ses nouvelles aventures se passent en Arabie : aux montagnes afghanes désolées répond l’immensité du désert, un cadre idéal pour notre aventurier, épris de justice et de liberté. Howard continue de rêver devant sa machine à écrire, parmi les grands espaces texans, se projetant dans le désert et menant une autre vie, par héros interposé.
Le premier volume présentait El Borak, personnage de légende, soldat de fortune, intervenant dans les endroits les plus reculés du monde. Il était là et agissait, figure mythique, auréolée de mystère. Dans ce volume, nous faisons plus ample connaissance avec El Borak. Il demeure toujours aussi mystérieux, certes, mais nous laisse entrevoir certains aspects de son être. Ainsi, dans le Sang des Dieux, Howard fait allusion à son âme celte, sensible au surnaturel et à l’ambiance fantasmatique des grottes d’El Khour hantées par un djinn. El Borak devient aussitôt le frère jumeau des autres personnages howardiens, de Cormac Mac Art jusqu’à Conan, je n’insiste pas ! A plusieurs reprises, Howard fait allusion aux Peaux-Rouges d’Amérique, rappelant ainsi l’origine d’El Borak/Gordon... et la sienne ! Dans
le Pays du Couteau, il est fait allusion à l’aïeul de Stuart Brent, brebis galeuse d’une vieille famille californienne, qui traversa les plaines de l’Ouest en 1849... souvenir des origines d’Howard, là encore. Dans le Fils du Loup Blanc, nous apprenons que le grand-père de Gordon traqua un groupe de guerriers apaches à travers les Guadalupes...souvenir direct et réel d’Howard ? Cela ne serait pas étonnant. Nous sommes très proches du ton de la confidence.
Le personnage d’El Borak se précise ; ses origines s’affinent. Mais surtout son caractère nous devient beaucoup plus sensible. Il perd de son caractère mythique, tout d’un bloc, pour devenir plus humain... et même inhumain à certains moments. Car dans ces trois aventures, plus mouvementées, il y a beaucoup de combats et de batailles acharnées. A l’image de Conan, de Bran Mak Morn et de Solomon Kane, El Borak est pris par la folie de la bataille, par la fureur du
berserker. Alors il se déchaîne et c’est le massacre et la mort sanglante. Une phrase caractéristique que l’on pourrait trouver dans des pages consacrées à Conan : « Ivre de carnage, il était seulement conscient du désir aveugle de tuer et de massacrer, avant de sombrer lui-même dans la rouge confusion de son dernier et farouche combat. » Il pourrait s’agir d’un combat du Cimmérien ou de Kull le roi atlante !
Dans ces instants, il n’est plus qu’une machine à tuer, impitoyable et inexorable. C’est ainsi qu’il refuse une mort « honorable » à l’un de ses ennemis, le tuant et lui fracassant le crâne avec la garde de son cimeterre, au lieu de le transpercer avec sa lame ! Ou, après avoir décapité un autre de ses ennemis, égaré par sa fureur et sa haine, il frappe du pied la tête de son adversaire mort, l’envoyant rouler au bas d’une colline ! Certes, ses ennemis étaient méprisables et abjects, méritant leur sort, mais nous sommes bien loin du justicier épris d’absolu et de liberté ! On songe alors à Solomon Kane, autre grand justicier devant l’Eternel et bras vengeur du Destin, dans ses grands instants de démence et de fureur devant l’injustice du monde ! Dans la dernière aventure de ce volume, lorsqu’un Bédouin agonisant demande à El Borak de faire justice et de venger les siens massacrés d’une horrible manière, Gordon répond simplement : « Ils mourront ! » On se souvient de la terrible phrase de Solomon Kane : « Des hommes mourront pour ceci ! » D’ailleurs, lorsque El Borak entre dans le village en ruine et contemple les cadavres éventrés et mutilés, il est pris d’une folie identique à celle de Solomon Kane. Dés lors, rien ne l’empêchera d’aller jusqu’au bout de sa vengeance et d’accomplir sa mission de justice, même s’il perd tout aspect humain. La haine et la folie, le massacre et la mort. On se bat et on meurt beaucoup dans ce volume, plus échevelé et sanglant que le premier, pour notre plus grand plaisir !
Il n’est pas inutile de rappeler qu’Howard écrivit les aventures d’El Borak durant les dernières années de sa vie :
Blood of the Gods parut dans Top-Notch en juillet 1935 ; The Country of the Knife (titre original : Sons of the Hawk) dans Complete Stories en août 1936 et Son of the White Wolf dans Thrilling Adventures en décembre 1936, soit pour ces deux nouvelles, deux et sept mois après sa mort survenue en juin 36.
Howard reprend certains éléments d’autres héros dont il a déjà consigné les aventures pour modeler le personnage d’El Borak... et celui de Conan, écrit à la même période. Dans le
Pays du Couteau, l’épisode se passant dans la ville de Rub el Harami pourrait être l’une des aventures du barbare de Cimmérie. Et pour preuve la dernière aventure de Gordon dans El Borak le Magnifique... mais j’anticipe, surveillez la devanture de votre librairie préféré, le mois prochain !
Action, batailles sanglantes, fureur de tuer, le goût du massacre et de la vie... la folie des hommes ! El Borak le justicier hante toujours les endroits les plus déshérités du monde et intervient pour contrecarrer les visées d’aventuriers sans scrupules qui menacent le sort du monde. Une fois de plus, Howard fait preuve dans ces pages de son immense talent de conteur et nous entraîne dans ses rêves vertigineux et baroques. Les idées fourmillent à chaque page, matière à d’innombrables romans, qui apparaissent l’espace d’un paragraphe ! Ainsi le thème des joyaux maudits,
le Sang des Dieux ; l’amitié du joueur Stuart Brent, partant rejoindre El Borak dans les montagnes afghanes, pour respecter la dernière volonté d’un ami mort ; et tant d’autres...
Pour terminer, sans doute la plus belle de toutes les idées... celle de la rencontre - impossible, rêvée, mythique, fabuleuse - de Gordon/El Borak et de Lawrence d’Arabie (ah, la couverture de Nicollet !) dans
le Fils du Loup Blanc. Eté 1917, l’Arabie... et cette phrase sublime : « Je vous connais. Vous êtes l’Américain qu’ils appellent El Borak, le Rapide. Vous êtes venu d’Afghanistan lorsque la guerre a éclaté. Vous étiez avec le roi Hussein, avant même que Lawrence vienne d’Egypte. »
Alors tout devient possible. Deux mythes se rencontrent, se fondent intimement. Et l’on ne sait plus qui a vraiment existé, de Gordon ou de Lawrence... d’Arabie ! Tous deux appartiennent à la légende, au rêve... c’est cela l’immortalité !

François TRUCHAUD
Ville-d’Avray
23 janvier 1984


Retour à la liste