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El Borak l’Invincible

mercredi 13 mai 2009, par François Truchaud

Les Horizons perdus

Après Kull le roi barbare, Solomon Kane, Bran Mak Morn, Cormac Mac Art et Agnès de Chastillon, voici El Borak, un nouveau personnage jailli de l’imagination fertile de « Two-Gun Bob »... et la liste est loin d’être close !
A nouveau un personnage exceptionnel, violent et sauvage, épris d’aventures, de liberté et d’absolu ! Un personnage, à nouveau, très proche d’Howard... peut-être le plus proche, en fait, un personnage qui l’obséda et dans lequel il se projeta toute sa vie.
On sait qu’Howard écrivit sa première historie à l’âge de neuf ou dix ans... il racontait les aventures de Boealf, un jeune Viking danois, aux prises avec les Gaëls, les Saxons et bien d’autres adversaires. Et il avait dix-huit ans lorsqu’il écrivit sa première histoire professionnelle :
Lance et Croc, parue dans Orbites n°4, 15 décembre 1982 ? Pourtant il confia : « Le premier personnage que j’aie jamais créé fut Francis Xavier Gordon, El Borak, le héros de La Fille d’Erlik Khan (Top-Notch), etc. Je ne me souviens plus de sa genèse. Il est venu à la vie dans mon esprit alors que j’avais une dizaine d’années. Ensuite il y a eu Bran Mak Morn... »
Une confidence des plus laconiques, à propos d’un personnage « de jeunesse » sur lequel il devait revenir beaucoup plus tard, à la fin de sa vie. Mais cela n’a rien d’étonnant.
Une discrétion identique entoure le personnage lui-même. A la page 2, Howard note, au passage : « C’était un Américain, mais il semblait faire partie de ces hauts plateaux au relief accidenté que les farouches nomades qui font paître leurs moutons sur les pentes de l’Hindou-kouch. » Et ce n’est qu’à la 132e page qu’Howard consentira à nous en dire un peu plus sur son héros :
« Francis Xavier Gordon était connu d’Istanbul jusqu’aux mers de Chine. Les Musulmans l’appelaient El Borak, le Rapide, et ils le craignaient autant qu’ils le respectaient. »
Un peu plus loin, il précise : « Des années passées en Orient lui avaient donné la faculté de se faire passer pour un indigène n’importe où. »
Enfin : « Un rapport de forces inégal n’avait jamais fait hésiter Francis Xavier Gordon, originaire d’El Paso, Texas, et maintenant soldat de fortune, depuis des années, dans les endroits les plus reculés du monde. »
Et c’est pratiquement tout. Nous ne saurons jamais plus sur Francis Xavier Gordon, cet Américain transplanté du Texas en Afghanistan et ailleurs, surnommé « Le Rapide » en raison de son adresse aussi incroyable que mortelle au revolver, au couteau et au sabre. « Son nom était au cœur de toutes les légendes, de Téhéran jusqu’à Bombay. »
De son vivant, El Borak est déjà une légende et Francis Xavier Gordon existe. Il est là et agit ; tout détail supplémentaire serait superflu. A nouveau un personnage howardien qui existe, avec une force et une présence exceptionnelles, dans l’instant, pratiquement sans passé. Quant à son avenir, il le forge à la pointe de son épée. Mais l’aventure se passe au présent, et ce n’est guère le temps des réflexions.
Un personnage selon le cœur d’Howard, à bien des points de vue. Originaire d’El Paso, Texas... on sait qu’Howard vécut toute sa vie au Texas, et que la notion des grands espaces est capitale pour la compréhension de son œuvre. Physiquement, El Borak ressemble à Howard (comme tous ses autres personnages, d’ailleurs) mais l’écart est infime entre l’auteur et son personnage : Américains tous deux, vivant dans ces années 30. En fait, Howard pourrait être El Borak (pour une fois, un personnage moderne, du temps présent, même s’il est sans cesse confronté à l’Histoire) partant en Afghanistan ou ailleurs, à la rencontre de l’aventure. En fait, Howard rêve qu’il est El Borak et, par le rêve, vit les aventures de ce personnage exceptionnel, au sein de ces étendues désertiques, au décor glacé et impitoyable. Par l’intermédiaire de sa machine à écrire, il quitte le décor étroit de sa vie ordinaire pour se projeter
ailleurs, dans les endroits les plus lointains du monde (ici c’est dans l’espace, et non dans le temps, comme pour ses autres livres) et vivre l’Aventure absolue ; Dans Cormac Mac Art, il était question des Renaissances de Patrick Ervin... El Borak est, effectivement, l’une des Renaissances d’Howard. Pour preuve, à un moment, dans la dernière histoire, Willoughby lui dit qu’il n’est pas afghan, mais anglais, de descendance, du moins. Et El Borak lui répond, avec morgue :
- Je suis écossais des Highlands et irlandais, cela n’a rien à voir.
Lorsque l’on sait l’attachement - et la fierté - d’Howard à ses origines gaéliques (Ecossais-Irlandais et Normand !) l’affiliation ne fait plus de doutes. Howard rêve El Borak, comme Lawrence d’Arabie
rêve le désert, je n’insiste pas .
Quête d’aventure, d’absolu et de liberté. Dans sa courte
Autobiographie, Howard note : « Ecrire a toujours été pour moi un moyen pour parvenir au but souhaité : la liberté. La liberté personnelle est sans doute une chimère, mais je pense que tout le monde sera d’accord avec moi, lorsque je dis qu’il y a plus de liberté dans le fait d’écrire qu’il n’y en a à travailler - comme je l’ai fait - de douze à quatorze heures par jour, et ceci sept jours sur sept, derrière un stand de glaces et de rafraîchissements. J’ai souvent travaillé dix-huit heures par jour, à ma machine à écrire, mais c’était un travail de mon choix, et je pouvais m’arrêter quand je le voulais, sans être renvoyé de mon boulot. »
Je pense que la cause est entendue. Voici donc les aventures de Francis Xavier Gordon, dans la grande tradition des aventures orientales de Talbot Mundy et de Harold Lamb, deux des écrivains favoris d’Howard (dont il pouvait lire les histoires dans Adventure, son magazine préféré, et d’autres). Citons les autres écrivains favoris d’Howard, de langue anglaise : Conan Doyle, Jack London, Mark Twain, Sax Rohmer, Jeffrey Farnol, R.W. Chambers, Rider Haggard, Kipling, Sir Walter Scott, Lane-Poole, Jim Tully, Ambrose Bierce, Arthur Machen, Edgar Allen Poe, et H.P. Lovecraft.
Excusez du peu ! Quelques précisions bibliographiques : cinq aventures seulement de Francis X. Gordon furent publiées (dont deux l’année de la mort d’Howard). Elles parurent de 1934 à 1936 dans trois magazines :
Top Notch, Complete Stories et Thrilling Adventures. Un manuscrit non publié et une histoire inachevée de Gordon furent retrouvés après la mort d’Howard (ainsi que d’autres fragments) Howard aurait-il écrit d’autres aventures de Gordon si le destin le lui avait permis ? Inshallah !
Voici le premier volet de la trilogie des aventures de « Gordon d’Arabie », voici El Borak l’Invincible (en attendant El Borak le Redoutable et El Borak le Magnifique). Partez à la découverte de Yolgan, la cité interdite des Adorateurs du Démon, où se trouve la belle Yasmeena, partez à la rencontre de la Vallée Perdue d’Iskander, partez à la rencontre des innombrables adversaires et périls qui menacent Francis X. Gordon ! Notons dans la dernière histoire la présence et les intrigues russes, concernant l’Afghanistan - Terre d’Aventures pour Gordon - ce qui est savoureux autant que prémonitoire, ou tout simplement éternel, inshallah à nouveau !
Pour terminer, une parenthèse d’autosatisfaction absolument béate - j’attends avec sérénité les jets de pierres ! :
El Borak l’Invincible est le cinquantième livre que je traduis, un jour à marquer d’une pierre blanche, dont un bon nombre consacrées, naturellement, à Howard et au Fantastique, à la Cause. Fin de la parenthèse !
Les Horizons Perdus, me direz-vous ! Ma foi, chacun de nous se nourrit de rêves, accessibles ou non, provenant de notre inconscient, et toute notre bien consiste à essayer de les retrouver ou de les atteindre.
Les Horizons Perdus, le film sublime de Frank Capra (1937) me semble convenir à merveille pour Howard ou la quête éternelle de Shangri-La... mais voici El Borak !
François Truchaud
Ville d’Avray
31 juillet 1983


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