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Agnes de Chastillon

jeudi 9 avril 2009, par François Truchaud

Avant-Propos


Je n’aurais pas l’outrecuidance de me répandre en un longue - autant qu’inutile - introduction, puisque, dans un instant, vous lirez la préface de Leigh Brackett, merveilleuse d’intelligence et de concision, où tout est dit sans emphase ni discours alambiqué, et avec beaucoup d’humour, ce qui ne gâte rien !
Je me bornerai à dire que ce huitième volume d’Howard publié par NéO constitue une surprise de taille, puisqu’il contient les trois aventures de la seule héroïne jamais créée par notre auteur, si l’on excepte les deux femmes « agissantes » que rencontre Conan le Cimmérien au cours de ses errances : Valéria de la Fraternité Rouge (
Les Clous Rouges) et Bêlit, la femme-pirate (La Reine de la Côte Noire). Les créature féminines rêvées par REH ont, certes, bien d’autres attributs, mais ne sont pas des guerrières, d’ordinaire.
Et tant pis pour ceux qui prenaient Howard pour un parfait misogyne (ce qualificatif étant le plus tendre parmi ceux employés par une certaine critique - hum, hum ! - française). Crom, dieu de l’heroic fantasy, jugera et reconnaîtra les siens !
Trêve de plaisanterie, voici Agnès de Chastillon à la chevelure rousse et à la beauté sombre, qui traverse la vie à la vitesse d’un météore, porteuse de tragédie et de destin, messagère de la Mort ! « Live fast, die young ! » comme disent les Américains qui s’y connaissent : vivre vite et dangereusement, mourir jeune ! Nous sommes en plein romantisme, ce qui ne saurait nous étonner, puisque les aventures d’Agnès se situent dans une France (le lecteur relèvera sans peine de savoureux anachronismes et erreurs ou « contractions » historiques ; pourtant le tableau de cette France brossé par REH est singulièrement vivant et vrai ! Nagerions-nous en pleine uchronie, sans le savoir ?) sortant à peine du Moyen Age, encore imprégnée du souvenir de Jeanne d’Arc et de Gilles de Rais, et se dirigeant vers la Renaissance, avec son cortège de guerres italiennes et d’intrigues à la Cour !
La petite paysanne se découpe un chemin sanglant et devient, à la pointe de son épée, Agnès le Noire ! Un personnage howardien par excellence, puisque, comme tous les autres héros de REH, elle se taille une place à sa mesure et proclame à la face de l’univers son individualité et sa liberté. A double titre : étant une femme dans un monde dirigé par les hommes, elle dépasse sa condition féminine (socio-économique, comme le montre excellemment Leigh Brackett, et profonde, physiologique= pour devenir la Maîtresse de la Mort, c’est-à-dire un être asexué et insensible, vivant et jouissant de sa seule liberté et de son indépendance totale. Elle se jette à corps perdu dans l’Aventure et les trois volets de sa saga relatent son parcours, sa trajectoire et son initiation au monde et à la vie, par l’intermédiaire - et au contact, bien plus au choc ! - des hommes qu’elle rencontre, chemin faisant. Etienne, Guiscard et John Stuart sont les trois facettes (il y en a bien d’autres !) de l’homme, éternel adversaire de la femme. Chacun d’eux lui apprend quelque chose, des liens se créent, mais, au moment où ils risquent de devenir trop intimes, Agnès prend ses distances, proclame farouchement sa solitude et sa liberté - son destin - et repart « sur la route ».
Rencontrera-t-elle un jour un partenaire digne d’elle, de ses aspirations et de ses rêves flamboyants ? De même que Conan fait la connaissance de Bêlit et vit un amour absolu, bien que fugitif, promis à la mort et à l’oubli ? Seul Howard, reparti vers son Valhalla personnel, le sait ! Qu’importe, Agnès la Noire vit par-delà ces pages, d’une vie autonome, en chacun de nous. Les rêves sont plus forts que la réalité...
Brève précision : la nouvelle
La Maîtresse de la Mort, inachevée à la mort d’Howard, a été terminée par Gerald W. Page. Cette histoire n’avait pas de titre et comportait un synopsis pour le restant du récit ; Page s’en est servi pour la compléter. Sa collaboration posthume commence vers le milieu de l’histoire, au paragraphe débutant par : « Stuart me précédait... » (pages 106).
L’Ombre du Hun nous permet de retrouver une connaissance de longue date, puisqu’il s’agit d’une aventure de Turlogh O’Brien : aux côtés d’Athelstane le Saxon, il était le héros de L’Homme Noir et des Dieux de Bal-Sagoth (dans le recueil L’Homme Noir). Il participait, encore tout jeune homme, à la bataille de Clontarf, racontée dans la nouvelle Le Crépuscule du Dieu Gris (dans le recueil Bran Mak Morn).
L’Ombre du Hun et Au service du Roi, deux récits inachevés, frappant pourtant par leur richesse et leur beauté. Howard prodigue son immense talent de conteur et donne libre cours à ses rêves et à sa vision de l’Histoire, de la jeunesse de l’Homme. Aventures folles, choc de civilisations, évocation unique des Premiers Temps : Gaël, Grec, Saxon, Hindou, pirate d’Erin, Huns et Slaves... tout se mélange et se brasse, comme seul Howard sait le faire. Avec en toile de fond, la civilisation aryenne et les grandes migrations de l’Humanité. A nouveau la fascination d’Howard pour les origines de l’Homme, comme s’il était à la recherche de sa propre identité, à la recherche de ses rêves perdus. Certaines pages sont littéralement écrites à la première personne et vibrent de lyrisme, de bruit et de fureur, de passion. Avec ces deux ébauches de récits, on pourrait écrire trois ou quatre romains, tant les idées fourmillent, brillant d’intelligence et d’intuition, excusez du peu !
Découvrez à présent Agnès de Chastillon, l’un des plus beaux personnages issus de l’imagination baroque d’Howard, un être épris d’absolu ! To be or not to be... et ce n’est pas la couverture de Nicollet qui me contredira. Partez à la recherche du visage énigmatique d’Agnès la Noire ; en cours de route, vous risquez fort de renctontrer la Res Adventura...


François Truchaud
Ville-d’Avray
20 mai 1983.


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